vendredi 28 octobre 2016

Les yeux - extrait

Prologue

(...)
— Papiers, intima une autre voix une minute plus tard, après que la Ferrari se fut immobilisée et que sa vitre côté conducteur ait été abaissée.
En ouvrant un œil à moitié, Shay étira les doigts vers le coffre à gants, l’ouvrit, saisit les papiers demandés par l’agent et les glissa dans la main que lui tendait son frère pendant que celui-ci lançait sur un ton décontracté :
— Belle soirée. C’est sûrement ennuyant d’être de service par un si joli temps. N’est-ce pas, monsieur… David ?
Le silence de la nuit et le ronronnement du moteur de la Ferrari lui répondirent.
Imperceptiblement, Shay secoua la tête. Il était parfaitement conscient de ce à quoi jouait son frère. Mais, poussé par la curiosité, et peut-être aussi par l’amusement qu’il savait que la scène lui procurerait, il rouvrit les deux yeux et les braqua sur l’officier de police.
Ce dernier lorgnait les papiers du véhicule, l’air dubitatif.
— Logan McBandia Daniels… Vous n’êtes vraiment pas du coin, tous les deux.
Le sourire qu’offrit Logan à l’agent fut si étincelant que Shay en aurait plissé les paupières.
— Mais dites-moi, monsieur McBandia…
— Daniels, précisa Logan d’un ton mielleux. Juste Daniels.
La paupière gauche de l’agent tressauta légèrement avant qu’il ne poursuive :
— Vous avez idée de la vitesse à laquelle vous rouliez, il y a quelques instants ?
Le frère aîné de Shay jeta un regard en direction du cadran de vitesse, comme si celui-ci avait pu lui révéler quelle qu’information que ce soit. Mais Shay savait pertinemment qu’il ne s’agissait que de détourner l’attention du policier, même le temps d’une petite seconde; le temps que le bleu saphir de ses iris passe au doré le plus pur. Dans l’obscurité, les yeux de Logan brillèrent d’un éclat carnassier, d’un de ceux que Shay n’aurait pu manquer même sans sa vision accrue.
— À 172 kilomètres-heure, très précisément, répondit Logan en pivotant vers l’agent.
Les sourcils de ce dernier s’arrondirent. Juste comme il ouvrait la bouche pour répliquer, son interlocuteur le devança :
— Mais vous n’avez pas à vous en faire. Je suis un pilote chevronné; jeune, avec d’excellents réflexes. Impossible pour moi de déraper, et j’aurais aperçu le moindre obstacle sur la route des centaines de mètres avant l’impact…
Les lèvres entrouvertes de l’agent de la loi formèrent un ou deux mots, sans pour autant qu’un seul son ne quitte sa bouche. Les traits froissés, il finit cependant par acquiescer d’un timide hochement de tête, l’air incertain.
Shay dut se mordre l’intérieur d’une joue pour s’empêcher de sourire.
— Vous savez que vous pouvez avoir confiance, renchérit Logan, ses yeux dorés vrillant ceux du policier. Vous me laisserez donc repartir sans même un avertissement et, dans quelques heures, lorsque vous rentrerez chez vous, vous aurez tout oublié de notre rencontre, et ce, jusqu’à la couleur de ma voiture.
Un lourd silence suivit sa déclaration. À quelques dizaines de mètres du bord de la route, la forêt elle-même semblait retenir son souffle.
Pas un hululement de hiboux.
Pas un coassement de grenouilles.
Pas de brise tiède chantant entre les aiguilles des genévriers.
Seule la rivière osait continuer à murmurer et à susurrer dans la nuit.
Shay compta mentalement jusqu’à trois.
— Vous avez tout à fait raison, approuva alors David, et la forêt boréale se remit à respirer. Veuillez m’excuser de vous avoir importunés, jeunes gens.
Les papiers du véhicule claquèrent dans la main de Logan lorsque l’agent David les lui remit.
— Je vous souhaite une excellente fin de soirée, messieurs ! lança-t-il en s’écartant de la Ferrari.
Tout en replaçant les papiers dans le coffre à gants, Logan décocha un regard entendu à son petit frère. Ce faisant, Shay vit le doré des iris de son aîné se résorber, comme aspiré par le noir de ses pupilles, et rendre sa place au bleu limpide et étincelant.
— Oh, et au fait ! s’exclama l’officier de police qui retournait vers sa voiture. Bienvenue à BlackFalls !
Un large sourire vint étirer les lèvres de Logan, révélant ses canines acérées. Il embraya alors, et la Ferrai démarra sur les chapeaux de roues.
Le vent se remit à siffler à ses oreilles, et Shay se permit un sourire en coin.
Un instant plus tard, ils dépassèrent à toute vitesse un panneau qui reprenait les mots de l’officier : Bienvenue à BlackFalls.


Fin de l'extrait!
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